Imaginez la steppe sans limites, un océan ondoyant de verdure aux senteurs mentholées, des troupeaux immenses mais qui semblent tout petits dans l’immensité du vent…
Dans ce pays vivent de grands troupeaux d’ânes sauvages : les Koulans. Libres, indomptés, les koulans parcourent au fil des saisons les hautes plaines d’Asie Centrale à la recherche de nouveaux pâturages.
C’est aussi le pays de Sarantoya, petite fille de Mongolie. Son nom signifie « Clair de Lune »
Elle vit avec ses parents au campement des yourtes blanches. Ces grandes tentes rondes sont leurs maisons. Pleine
d’insouciance, Sarantoya passe ses journées d’été à monter à cheval, à jouer aux osselets et à la balançoire avec les autres enfants du campement…
Comme tous les nomades de Mongolie, ses parents élèvent des chevaux, des yacks et des moutons. Son père fait sécher des bouses pour le feu. Il rassemble les moutons et soigne ses chevaux. Sa mère
trait les brebis et les juments : avec le lait des juments elle fait l’aïrak. Elle prépare la soupe aux nouilles dans laquelle cuisent des morceaux de mouton ; elle répare aussi la
yourte et confectionne les dels, les beaux vêtements de toute la famille.
Quand il n’y a plus d’herbe pour le troupeau, alors on démonte les yourtes et tout le monde part s’installer ailleurs. L’été est court, il faut en profiter pour changer souvent de pâturage. Sur
une grande charrette, les nomades entassent leur mobilier, les feutres et les tapis.
L’automne se passe et les nomades installent aujourd’hui leur campement d’hiver : ils assemblent les murs puis les perches du toit des yourtes. Bien couvertes de feutre épais, elles
protègeront toute la famille des vents hurlants et glacés.
C’est que l’hiver mongol est terrible. On dit là-bas que cette saison de froid mordant dure neuf fois neuf jours.
Il y a d’abord les trois neuvaines d’enfance qui marquent les migrations des grands troupeaux sauvages : voilà les koulans qui traversent la plaine tout près du campement. Ils fuient la
tempête et vont vers le sud. Les ânes sauvages sont si nombreux que le sol tremble sous le martèlement des sabots. Un long nuage de poussière semble suivre le troupeau.
Sarantoya sort de sa yourte. Quand le nuage s’envole et que le martèlement s’éloigne, elle aperçoit au loin la silhouette d’une ânesse qui s’est arrêtée.
Sarantoya s’approche.
C’est la belle ânesse sauvage à la robe blanche comme neige que les nomades vénèrent comme un esprit sacré et qu’ils appellent Sining. Elle est blessée. Sa patte arrière la fait souffrir.
Elle boîte et ne peut aller plus loin. Mais l’ânesse est farouche : elle craint les hommes qui sont parfois si dangereux et s’inquiète de voir la fillette s’approcher d’elle. Alors,
Sarantoya chante pour l’ânesse, d’une voix qui rassure, une mélodie tendre et qui fait venir des larmes aux yeux. La fillette est tout près de l’ânesse : doucement, Sarantoya lui passe à
l’aide d’un bâton une corde à l’encolure sans cesser de chanter à voix basse. Sining se laisse faire, accorde sa confiance et suit l’enfant en boitillant.
Quand elles arrivent au campement, la mère de Sarantoya l’accueille avec un grand sourire et va chauffer de l’eau. La petite fille soigne l’ânesse avec des bandes chaudes de tissu et de
l’argile tiède. Le bel œil noir de Sining semble la remercier, la fillette en est toute bouleversée.
Tous les jours, elle reste auprès de Sining et prend bien soin que rien ne lui manque. L’hiver arrive tout à fait et, malgré le vent glacé qui court sur la plaine, Sarantoya a le cœur bien chaud
de voir sa belle ânesse blanche reprendre des forces et guérir petit à petit.
L’hiver pourtant redouble de rage : ce sont les trois neuvaines de jeunesse, les plus terribles : la queue des animaux peut geler et casser les jours de tempête. Les hommes se
blottissent au centre de la yourte, tout contre le poêle, tandis que les perches du toit craquent sous la tourmente du vent ! S’ils sortent, sous d’épais manteaux, ils doivent prendre garde à ne
pas se perdre dans la tempête de neige.
Pendant toute cette saison de froidure intense, de gel mordant, de vent assourdissant, Sarantoya passe ses journées à tisser. Ses doigts menus excellent dans la confection de Khatag, de longues
écharpes de soie que sa mère ira vendre en ville au début du printemps. La fillette ne sort pour ainsi dire presque jamais de la yourte : lorsqu’elle affronte le froid, c’est pour rendre
visite à l’ânesse qu’elle a installée tout contre la maison de toile, abritée par un écran de branches sèches et de feutre épais que son père lui a permis d’utiliser.
L’enfant caresse tendrement la douce crinière de Sining. Elle sait que très bientôt, l’ânesse sauvage demandera sa liberté et qu’il faudra la lui donner. Sarantoya est un peu triste à cette
pensée. Pour garder toujours contre son cœur la présence paisible de son amie, elle coupe alors quelques brins argentés de la crinière avec l’idée de les tisser. Après quelques jours d’un travail
minutieux, elle achève une khatag fine et soyeuse, couleur de vent et de lumière.
L’hiver se meurt sous les assauts du printemps, la neige fond totalement, les sources rejaillissent, les ruisseaux se faufilent dans les herbes hautes… Voilà venues les trois neuvaines de
vieillesse qui annoncent la belle saison bientôt retrouvée…
Ce matin, après avoir avalé un bol de bouillon, Sarantoya s’est assise dans l’herbe, au soleil, devant la yourte. Soudain, le sol tremble. Elle entend un bruit de galop : les ânes sauvages
sont de retour ! Elle aperçoit le troupeau qui s’approche.
Sining, la belle ânesse blanche, dresse la tête et les oreilles. Elle brait pour appeler ses frères et sœurs et tire sur la corde tressée qui la retient. Sarantoya, qui connaît si bien la force
sauvage et le besoin vital de liberté, se lève et s’approche de l’ânesse. Elle lui caresse l’encolure et défait la corde. Aussitôt, Sining s’éloigne ; puis elle s’arrête, tourne la tête et
regarde une dernière fois Sarantoya, sa protectrice, comme pour lui dire au revoir.
Au galop, elle rejoint les koulans qui ne font que passer et bientôt, le nuage de poussière n’est plus qu’un point à l’horizon.
Sarantoya ne sait pas très bien pourquoi les larmes emplissent ses yeux : elle ressent un immense bonheur de voir Sining retrouver les siens, mais son cœur se serre de voir son amie
s’éloigner.
Elle rentre dans la yourte et ouvre le coffre de bois peint où elle range ses vêtements. Elle en sort la kathag couleur de vent et de lumière, elle la noue contre son cœur. Une grande douceur
sèche ses larmes, un sourire éclaire son visage.
« Si loin que ses galops l’emportent, nous resterons toujours ensemble … »
Une histoire écrite par Christophe Plateau et Geneviève Hayet, d'après un conte traditionnel Mongol
Copyright : les Ânes de Vassivière