En mars, l'hiver semble toujours bien installé à la ferme des ânes.
Les planchers des yourtes sont encore vides. Ils ont l'air d'attendre qu'on y installe à nouveau les belles tentes mongoles.
Les arbres n'ont pas encore remis de feuilles. Les oiseaux viennent mendier quelques graines de tournesol et des boules de graisse dans leur mangeoire. Les ânes eux ne se préoccupent encore que
de dormir et de manger, comme des enfants gâtés qu'ils sont. Pourtant, quelque chose frémit déjà dans l'air. C'est le printemps qui s'annonce et avec lui, le début d'une nouvelle saison aux Ânes
de Vassivière.
Le signe ne trompe pas : les premières grues sont passées dans le ciel, revenant des pays chauds. Bientôt, tout le domaine se réveillera et se fera beau pour accueillir des hôtes et des visiteurs.
Moi, j'ai décidé de profiter de ce temps calme pour remettre doucement au travail nos animaux. C'est un petit rituel qui a son importance pour ne pas avoir de problème à l'heure des premières grandes balades. Il faut échauffer un peu les muscles de tout le troupeau. Muscles bien engourdis après un hiver passé à piétiner autour du râtelier. Il faut aussi réveiller les bons réflexes et les bonnes attitudes de l'âne randonneur. Et cela ne se fait pas tout seul !
Il n'y a qu'à voir leur tête quand j'arrive pour la première fois avec un licol à la main. Image a un air épuisé d'avance. Maurice s'interroge : « Qu'est-ce que c'est que ça déjà ? ». Entraînés par Célestin, Sureau et Nutella prennent le large. Ils sont suivis de loin par Marius. Hansie ne bouge pas mais me lance un regard mauvais. Quant aux vieux, Domino et Ânatole, ils ont l'air de porter toute la misère du monde sur leurs épaules. Voilà qui promet !
Je ne me laisse pas apitoyer pourtant, ni intimider par ceux qui sont déjà arrivés à l'autre bout du pré. J'ai établi tout un petit programme et chacun aura droit à sa séance d'entraînement.
Ceux qui n'ont pas bougé passent les premiers. Oui, je cède à la facilité. Et c'est parti pour le tour de la ferme. Un par un, chacun à son rythme. Je me retrouve en compagnie de mes « anciens » qui trottinent gentiment. Gabin, monsieur Pot-de-Colle, a tenu aussi à y aller dès le début. Ah celui-là, ce n'est pas pour rien s'il est un de mes chouchous.
Marius, sur qui j'ai remis la main, a décidé qu'il ne ferait pas un pas en avant. Un croûton de pain réveille son intérêt. Il a toujours été gourmand ce gros pépère.
Plusieurs jours auront été nécessaires pour que le troupeau complet y passe.
Pourtant, il y en a un qui, tous les jours s'est échappé. C'est le petit Célestin. Maintenant que j'en ai fini avec les autres, je vais pouvoir lui consacrer un peu de temps. Je suis obligé de ruser pour l'attraper. Tout ça me prend un peu de temps. Mais à la fin, victoire ! Je réussis enfin à mettre la main dessus. Sitôt attaché, le voilà devenu le plus doux, le plus obéissant. Ah, il en faut de la patience parfois, pour être un bon ânier.
Le groupe des ânes qui feront de grandes randonnées a droit la semaine suivante à un entraînement de niveau supérieur ! Nous voilà en route sur les circuits qui montent à Peyrat. 3 kilomètres, 5 kilomètres et pour certains 8 kilomètres. C'est l'occasion aussi de vérifier l'état des chemins après l'hiver. Voir si des arbres ne sont pas tombés, etc...
Derrière leurs fenêtres ou au volant de leur voiture, les gens ouvrent de grands yeux en voyant passer notre drôle d'équipage. C'est qu'au village, on les avait un peu oubliés, les ânes, pendant tous ces longs mois frileux.
Nous adressons à tous un bonjour amical : une main levée pour moi, et pour l'âne, un cri ou un peu crottin offert pour mettre au jardin.